L’affacturage représente une solution financière permettant aux entreprises de céder leurs créances commerciales à un établissement spécialisé, le factor, afin d’obtenir un financement immédiat. Cette opération, principalement utilisée dans le cadre des relations interentreprises, se trouve parfois à la frontière du droit de la consommation lorsque certains acteurs économiques peuvent être qualifiés de consommateurs. La confrontation entre ces deux univers juridiques soulève des questionnements complexes sur l’application des règles protectrices du consommateur, les obligations d’information, les pratiques commerciales encadrées et les recours possibles. L’évolution récente de la jurisprudence et des textes législatifs européens et français redessine progressivement les contours de cette relation, créant un cadre juridique en constante mutation.
Les fondements juridiques de l’affacturage et son interaction avec le droit de la consommation
L’affacturage constitue une technique financière régie principalement par le Code monétaire et financier, qui le définit comme une opération de crédit. Selon l’article L.313-23 dudit code, cette pratique permet à un commerçant ou une entreprise de transférer, par voie de cession ou de nantissement, ses créances professionnelles à un établissement de crédit. Ce mécanisme repose sur un contrat tripartite impliquant le cédant (l’entreprise qui détient les créances), le factor (l’établissement financier qui rachète les créances) et le débiteur cédé (le client qui doit payer la créance).
La qualification juridique de l’affacturage reste parfois ambiguë. La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 mars 2006, a précisé qu’il s’agit d’une « convention de crédit assortie d’une cession de créances professionnelles à titre de garantie ». Cette définition place l’opération dans le champ des activités bancaires et financières, soumises à une réglementation spécifique.
Le droit de la consommation, codifié dans le Code de la consommation, vise quant à lui à protéger les personnes physiques agissant à des fins non professionnelles dans leurs relations avec les professionnels. La question de l’applicabilité de ces dispositions protectrices aux opérations d’affacturage se pose lorsque le débiteur cédé est un consommateur ou lorsque le cédant peut être qualifié de non-professionnel.
La Directive 2008/48/CE concernant les contrats de crédit aux consommateurs et sa transposition en droit français ont renforcé cette interrogation. En effet, bien que l’affacturage soit traditionnellement exclu du champ d’application du droit de la consommation, certaines situations frontières existent, notamment lorsque:
- Le cédant est une micro-entreprise ou un auto-entrepreneur pouvant dans certains cas être assimilé à un consommateur
- Le contrat d’affacturage comporte des clauses abusives susceptibles d’être sanctionnées par le droit de la consommation
- Le débiteur cédé est un consommateur bénéficiant des protections du Code de la consommation
La jurisprudence européenne a progressivement précisé ces contours. Dans l’arrêt Costea c/ SC Volksbank România SA du 3 septembre 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne a considéré qu’un avocat concluant un contrat de crédit pouvait être qualifié de consommateur dès lors que ce contrat n’était pas lié à son activité professionnelle. Ce raisonnement pourrait, par analogie, s’appliquer à certaines opérations d’affacturage.
L’interaction entre ces deux corpus juridiques crée ainsi une zone de friction où les tribunaux doivent déterminer au cas par cas l’applicabilité des dispositions protectrices du droit de la consommation. La qualification des parties et la finalité de l’opération deviennent alors des critères déterminants pour établir le régime juridique applicable.
Les obligations d’information et de transparence dans les contrats d’affacturage
Le contrat d’affacturage est soumis à des exigences de transparence qui peuvent varier selon la qualification des parties. Lorsque le droit de la consommation s’applique, ces obligations se trouvent considérablement renforcées par rapport au droit commun des contrats.
En matière d’information précontractuelle, les factors doivent respecter l’article L.111-1 et suivants du Code de la consommation si leur cocontractant peut être qualifié de consommateur. Cela implique une information détaillée sur les caractéristiques essentielles du service, le prix, les délais d’exécution et les garanties légales. La fiche d’information standardisée européenne (FISE) peut devenir obligatoire dans certaines configurations, notamment lorsque l’opération s’apparente à un crédit à la consommation.
La Commission des clauses abusives a émis plusieurs recommandations concernant les contrats financiers qui peuvent s’appliquer par extension aux contrats d’affacturage. Ces recommandations visent à éliminer les clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur.
Concernant la formation du contrat, le formalisme est particulièrement strict lorsque le droit de la consommation s’applique. Le contrat doit être établi par écrit, comporter des mentions obligatoires et être remis au client. La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 janvier 2017, a rappelé l’importance de ces exigences formelles en matière de services financiers, sanctionnant leur non-respect par la nullité du contrat.
Les obligations en matière de tarification constituent un autre point de tension. Les factors doivent respecter une transparence totale concernant:
- La commission d’affacturage (généralement un pourcentage du montant des factures cédées)
- Les frais de dossier et de gestion administrative
- Le taux d’intérêt appliqué au financement anticipé
- Les frais spécifiques comme les coûts liés aux incidents ou aux opérations particulières
Le Tribunal de commerce de Paris, dans un jugement du 22 mai 2018, a sanctionné un factor pour manque de transparence sur ses tarifs, considérant que cette opacité constituait une pratique commerciale déloyale au sens du Code de la consommation.
En cours d’exécution du contrat, l’obligation d’information perdure. Les modifications tarifaires doivent être notifiées dans un délai raisonnable, généralement fixé à deux mois par la jurisprudence. La Directive 2015/2366 concernant les services de paiement a renforcé cette exigence en imposant une notification préalable pour toute modification des conditions du contrat-cadre.
Le droit de rétractation, pilier de la protection des consommateurs, peut s’appliquer aux contrats d’affacturage conclus à distance ou hors établissement si le cédant est qualifié de consommateur. Ce droit permet de revenir sur son engagement dans un délai de 14 jours sans avoir à se justifier, conformément à l’article L.221-18 du Code de la consommation.
L’ensemble de ces obligations crée un cadre protecteur qui, lorsqu’il s’applique aux opérations d’affacturage, modifie substantiellement l’équilibre contractuel traditionnel de cette technique financière.
La qualification du débiteur cédé et les protections spécifiques
La position du débiteur cédé (le client dont la facture est cédée au factor) mérite une attention particulière lorsqu’il s’agit d’un consommateur. En effet, contrairement aux relations interentreprises où l’affacturage est une pratique courante, la cession de créances impliquant des consommateurs soulève des problématiques spécifiques au regard du droit de la consommation.
En premier lieu, la notification de la cession au débiteur cédé constitue une étape fondamentale. Si le droit commun prévoit une simple information par tout moyen, l’article L.313-28 du Code monétaire et financier impose que cette notification soit faite par lettre. Lorsque le débiteur est un consommateur, la jurisprudence a progressivement renforcé cette exigence. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 mars 2019, a considéré qu’une notification par simple courriel était insuffisante face à un consommateur.
L’opposabilité des exceptions représente une protection majeure pour le consommateur débiteur cédé. Selon l’article 1324 du Code civil, « le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions qu’il aurait pu invoquer contre le cédant ». Cette règle permet au consommateur de faire valoir contre le factor tous les moyens de défense qu’il aurait pu opposer à son créancier initial, notamment:
- La non-conformité du produit ou service fourni
- La garantie légale des vices cachés
- Le droit de rétractation spécifique au droit de la consommation
- Les défauts d’information précontractuelle
Cette protection a été renforcée par la Directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs, transposée aux articles L.224-1 et suivants du Code de la consommation. Le Tribunal de grande instance de Nanterre, dans un jugement du 8 février 2017, a rappelé que le factor ne pouvait pas se prévaloir de sa qualité de tiers pour échapper aux obligations du vendeur initial face à un consommateur.
En matière de recouvrement des créances, les pratiques du factor sont strictement encadrées lorsque le débiteur est un consommateur. Le décret n°2012-783 du 30 mai 2012 relatif à la procédure civile d’exécution impose des règles spécifiques pour les actes de recouvrement. La Commission des clauses abusives, dans sa recommandation n°2015-02, a identifié comme abusives les clauses permettant au factor d’imposer des frais de recouvrement excessifs au consommateur débiteur.
Le traitement des données personnelles du débiteur cédé constitue un autre point sensible. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) et la loi Informatique et Libertés imposent aux factors des obligations strictes en matière de collecte, de conservation et d’utilisation des données des consommateurs. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a d’ailleurs sanctionné plusieurs établissements financiers pour des manquements relatifs au traitement des données de débiteurs.
Enfin, les procédures de surendettement prévues par le Code de la consommation peuvent impacter significativement les créances détenues par le factor. Lorsqu’un consommateur fait l’objet d’une telle procédure, les créances cédées peuvent être soumises à des mesures de rééchelonnement, voire d’effacement partiel ou total. La Cour de cassation, dans un arrêt du 3 juillet 2019, a confirmé que le factor ne pouvait se soustraire aux effets d’un plan de surendettement homologué par le juge.
Ces protections spécifiques accordées au débiteur consommateur modifient substantiellement l’économie traditionnelle de l’affacturage et obligent les factors à adapter leurs pratiques lorsqu’ils gèrent des créances impliquant des consommateurs.
Les pratiques commerciales réglementées et la lutte contre les abus
L’encadrement des pratiques commerciales constitue un axe majeur du droit de la consommation qui peut s’appliquer aux opérations d’affacturage lorsque celles-ci impliquent des acteurs susceptibles d’être qualifiés de consommateurs. Les factors, en tant que professionnels du secteur financier, sont particulièrement visés par ces dispositions.
Les pratiques commerciales trompeuses, définies à l’article L.121-2 du Code de la consommation, sont strictement prohibées. Un factor qui présenterait son service d’affacturage de manière ambiguë ou qui omettrait des informations substantielles pourrait être sanctionné sur ce fondement. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a mené plusieurs enquêtes ciblant des établissements financiers proposant des services d’affacturage avec des communications jugées équivoques.
En 2018, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a publié des recommandations spécifiques concernant la commercialisation des produits financiers, applicables par extension aux contrats d’affacturage. Ces recommandations insistent sur la nécessité d’une information claire et non trompeuse, adaptée au niveau de connaissance financière du client.
Les pratiques commerciales agressives, définies à l’article L.121-6 du Code de la consommation, sont particulièrement scrutées dans le secteur financier. Des techniques de vente sous pression, le harcèlement téléphonique ou l’exploitation de la vulnérabilité de certains entrepreneurs individuels pour leur proposer des solutions d’affacturage inadaptées peuvent être sanctionnées pénalement. Une décision du Tribunal correctionnel de Lyon du 12 septembre 2017 a condamné un intermédiaire en opérations bancaires pour avoir exercé des pressions psychologiques sur des micro-entrepreneurs afin de leur faire souscrire des contrats d’affacturage disproportionnés par rapport à leurs besoins.
La réglementation des clauses abusives constitue un autre outil juridique majeur. L’article L.212-1 du Code de la consommation définit comme abusive toute clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Dans les contrats d’affacturage, plusieurs types de clauses ont été identifiés comme potentiellement abusives:
- Les clauses permettant au factor de modifier unilatéralement et sans préavis les conditions tarifaires
- Les clauses limitant excessivement la responsabilité du factor en cas d’erreur dans la gestion des créances
- Les clauses imposant des pénalités disproportionnées en cas de résiliation anticipée
- Les clauses attribuant compétence à une juridiction éloignée du domicile du client
La Cour de cassation, dans un arrêt du 26 mai 2021, a réaffirmé que le juge pouvait relever d’office le caractère abusif d’une clause, y compris dans des contrats financiers comme l’affacturage, lorsque le cocontractant pouvait être assimilé à un consommateur.
Le démarchage financier, réglementé par les articles L.341-1 et suivants du Code monétaire et financier, fait l’objet d’un encadrement strict qui s’applique à la promotion des services d’affacturage. Le non-respect du délai de réflexion, l’absence de bordereau de rétractation ou le démarchage de personnes inscrites sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique Bloctel constituent des infractions susceptibles d’être sanctionnées.
La publicité pour les services d’affacturage est également soumise à des règles précises. L’article L.312-5 du Code de la consommation impose que toute publicité pour un crédit mentionne le Taux Annuel Effectif Global (TAEG). Par analogie, la jurisprudence tend à exiger une transparence similaire pour les opérations d’affacturage, particulièrement lorsqu’elles sont proposées à des entrepreneurs individuels ou des TPE.
Ces différentes réglementations constituent un arsenal juridique visant à protéger la partie faible au contrat d’affacturage. Leur application dépend toutefois de la qualification juridique des parties, créant parfois des situations complexes où les frontières entre droit commercial et droit de la consommation deviennent poreuses.
Perspectives d’évolution et adaptation des acteurs de l’affacturage
Le paysage juridique de l’affacturage connaît des transformations significatives sous l’influence du droit de la consommation et des évolutions technologiques. Ces mutations obligent les acteurs du secteur à repenser leurs modèles et leurs pratiques.
La digitalisation des services d’affacturage représente un premier axe d’évolution majeur. L’émergence de plateformes en ligne proposant des solutions d’affacturage simplifiées, parfois qualifiées d' »affacturage 2.0« , soulève de nouvelles questions juridiques. La contractualisation électronique, encadrée par les articles L.221-1 et suivants du Code de la consommation, impose des exigences spécifiques: double clic, conservation de la preuve, respect d’un formalisme informatif renforcé. Le Règlement eIDAS (n°910/2014) sur l’identification électronique et les services de confiance définit par ailleurs le cadre juridique de la signature électronique des contrats d’affacturage.
Les fintech spécialisées dans l’affacturage doivent composer avec un cadre réglementaire conçu initialement pour des acteurs bancaires traditionnels. La Banque de France et l’ACPR ont publié en 2019 un guide spécifique pour ces nouveaux entrants, rappelant les obligations liées à la protection des consommateurs, même dans un contexte majoritairement B2B. La Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA) a par ailleurs émis des recommandations sur la couverture des risques liés à ces nouvelles formes d’affacturage.
L’affacturage inversé ou « reverse factoring », qui permet à un donneur d’ordre de proposer à ses fournisseurs un paiement anticipé de leurs factures via un factor, connaît un développement important. Cette pratique, qui modifie la structure traditionnelle de l’affacturage, soulève des questions quant à la qualification juridique des parties et l’application du droit de la consommation lorsque certains fournisseurs sont des entrepreneurs individuels. La Commission européenne a lancé en 2020 une consultation sur ces nouvelles formes de financement de la chaîne d’approvisionnement, qui pourrait aboutir à une réglementation spécifique.
Le micro-affacturage, ciblant spécifiquement les TPE et auto-entrepreneurs, se développe rapidement. Ces offres, souvent simplifiées et accessibles via des applications mobiles, se situent à la frontière du droit commercial et du droit de la consommation. La jurisprudence tend progressivement à reconnaître l’application des dispositions protectrices du Code de la consommation à ces contrats. Un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 14 janvier 2020 a ainsi requalifié un auto-entrepreneur en consommateur dans le cadre d’un contrat d’affacturage, ouvrant la voie à l’application des dispositions sur les clauses abusives.
Au niveau européen, plusieurs initiatives législatives pourraient impacter significativement le secteur:
- Le projet de directive sur les crédits à la consommation (révision de la directive 2008/48/CE) pourrait élargir son champ d’application à certaines formes d’affacturage destinées aux micro-entreprises
- Le plan d’action pour l’union des marchés de capitaux vise à faciliter l’accès des PME au financement, notamment via des mécanismes d’affacturage simplifiés
- La stratégie pour une finance numérique adoptée en septembre 2020 prévoit un encadrement des nouveaux services financiers digitalisés, dont l’affacturage en ligne
Face à ces évolutions, les factors traditionnels adaptent leurs pratiques. La Fédération Française des Factors (FFF) a publié en 2021 un code de bonne conduite intégrant des principes issus du droit de la consommation: transparence tarifaire, information précontractuelle renforcée, procédures de médiation simplifiées. Cette autorégulation témoigne d’une prise de conscience de la nécessité d’intégrer les exigences du droit de la consommation, même dans un secteur traditionnellement B2B.
Le contentieux lié à l’affacturage évolue également. On observe une augmentation des recours fondés sur le droit de la consommation, particulièrement de la part d’entrepreneurs individuels contestant des clauses de leurs contrats d’affacturage. Cette judiciarisation pousse les factors à sécuriser davantage leurs processus contractuels et à anticiper l’application potentielle du droit de la consommation.
Ces transformations dessinent un nouveau paysage pour l’affacturage, où la frontière entre droit commercial et droit de la consommation devient de plus en plus poreuse, obligeant l’ensemble des acteurs à repenser leurs modèles et leurs pratiques pour s’adapter à un cadre juridique en constante évolution.
